IP case law Court of Justice

Order of 12 Jul 2016, C-399/15 (Vichy Catal), ECLI:EU:C:2016:546.



ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

12 juillet 2016 (*)

« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Délai de recours – Cas fortuit – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C-399/15 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 juillet 2015,

Vichy Catalán SA, établie à Barcelone (Espagne), représentée par Me R. Bercovitz Álvarez, abogado,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme S. Palmero Cabezas, en qualité d’agent,

partie défenderesse en première instance,

Hijos de Rivera SA, représentée par Me C. Sueiras Villalobos, abogada,

partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, M. E. Juhász et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Vichy Catalán SA demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 25 juin 2015, Vichy Catalán/OHMI – Hijos de rivera (fuente estrella) (T-302/15, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2015:443), par laquelle celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 10 mars 2015 (affaire R 2464/2013-1), relative à une procédure d’opposition entre Hijos de Rivera SA et Vichy Catalán.

 Le cadre juridique

2        L’article 45 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après le « statut ») est inséré dans le titre III, intitulé « Procédure devant la Cour de justice ». Il dispose :

« Des délais de distance seront établis par le règlement de procédure.

Aucune déchéance tirée de l’expiration des délais ne peut être opposée lorsque l’intéressé établit l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure. »

3        L’article 53, premier et deuxième alinéa, du statut prévoit:

« La procédure devant le Tribunal est régie par le titre III.

La procédure devant le Tribunal est précisée et complétée, en tant que de besoin, par son règlement de procédure. [...] »

4        L’article 43, paragraphes 1 et 6, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991 (JO 1991, L 136, p. 1), tel que modifié le 19 juin 2013 (JO 2013, L 173, p. 66) (ci-après l’« ancien règlement de procédure du Tribunal »), prévoyait :

« 1.      L’original de tout acte de procédure doit être signé par l’agent ou l’avocat de la partie.

[...]

6.      Sans préjudice des dispositions des paragraphes 1 à 5, la date à laquelle une copie de l’original signé d’un acte de procédure, y compris le bordereau des pièces et documents visé au paragraphe 4, parvient au greffe par télécopieur ou tout autre moyen technique de communication dont dispose le Tribunal, est prise en considération aux fins du respect des délais de procédure, à condition que l’original signé de l’acte, accompagné des annexes et des copies visées au paragraphe 1, deuxième alinéa, soit déposé au greffe au plus tard dix jours après. [...] ».

5        L’article 73, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal (JO 2015, L 105, p. 1), entré en vigueur le 1er juillet 2015, dispose :

« L’original en version papier d’un acte de procédure doit porter la signature manuscrite de l’agent ou de l’avocat de la partie. »

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

6        Le 26 mai 2015, Vichy Catalán a fait parvenir, par courrier électronique, au greffe du Tribunal, une copie de la requête introduisant un recours tendant à l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 10 mars 2015 (affaire R 2464/2013-1) qui lui a été signifiée le 26 mars 2015.

7        Le 8 juin 2015, soit treize jours après la réception par le Tribunal du courrier électronique, une version papier de cette requête comportant, non pas la signature manuscrite, mais une signature scannée de l’avocat de Vichy Catalán, est parvenue par courrier au greffe du Tribunal.

8        Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours de Vichy Catalán au motif que, indépendamment de l’irrecevabilité de ce recours découlant de l’absence de signature manuscrite, celui-ci devait être rejeté comme manifestement irrecevable pour avoir été introduit hors des délais d’ordre public imposés par l’article 263, sixième alinéa, TFUE, l’article 65, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1) et l’article 102, paragraphe 2, de l’ancien règlement de procédure du Tribunal.

 Les conclusions des parties devant la Cour

9        Vichy Catalán demande à la Cour :

-        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

-        d’y substituer une décision déclarant son recours devant le Tribunal recevable, et

-        de condamner aux dépens du présent pourvoi toute partie qui se présenterait pour défendre l’ordonnance attaquée.

10      L’EUIPO demande à la Cour :

-        de rejeter le recours et

-        de condamner Vichy Catalán aux dépens.

11      Hijos de Rivera demande à la Cour :

-        de rejeter dans sa totalité le pourvoi et

-        de condamner Vichy Catalán aux dépens.

 Sur le pourvoi

12      En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de le rejeter totalement ou partiellement par voie d’ordonnance motivée.

13      Il y a lieu de faire application de cette disposition en l’espèce.

14      Vichy Catalán invoque trois moyens à l’appui de son pourvoi. Le premier concerne la violation de l’article 45 du statut en ce que le Tribunal ne lui a pas permis d’établir l’existence d’un cas fortuit. Le deuxième a trait à la violation de l’article 43, paragraphe 6, de l’ancien règlement de procédure du Tribunal en raison d’une application formaliste de ladite disposition par le Tribunal. Le troisième moyen est tiré d’une application rétroactive de l’article 73, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, entré en vigueur le 15 juillet 2015.

 Sur le premier moyen relatif à l’existence d’un cas fortuit

 Argumentation des parties

15      Vichy Catalán estime que le Tribunal a méconnu l’article 45 du statut en constatant, dans l’ordonnance attaquée, que son recours était irrecevable ratione temporis sans prendre en compte l’existence d’un cas fortuit et sans lui laisser le temps nécessaire pour en démontrer les éléments constitutifs.

16      Vichy Catalán expose que, le vendredi 29 mai 2015, elle s’est rendue à un bureau de poste espagnol, mais qu’elle a été dans l’impossibilité d’envoyer sa requête en raison d’un dysfonctionnement des services postaux dans toute l’Espagne et que, aucun service postal et aucune société de messagerie ne fonctionnant durant le week-end, elle n’a pu envoyer sa requête que le lundi 1er juin 2015 par voie postale « express ». Elle fait valoir que, alors qu’une simple lettre d’inscription à e-curia, envoyée en même temps que sa requête, est arrivée le 4 juin, le pli contenant la requête n’est parvenu au greffe que le 8 juin, soit au terme d’un délai anormalement long pour un tel envoi.

17      Après avoir été informée, le 15 juin 2015, que le greffe du Tribunal estimait son recours comme déposé le 8 juin 2015, Vichy Catalán a adressé, le 16 juin 2015, une lettre contestant l’interprétation faite par le greffe du Tribunal de l’article 43, paragraphe 6, de l’ancien règlement de procédure du Tribunal. Selon Vichy Catalán, cette lettre n’évoquait pas la question de l’existence d’un cas fortuit lors de l’envoi, car la requérante n’avait pas encore eu le temps de recueillir les justificatifs attestant l’existence d’un tel cas fortuit.

18      Vichy Catalán relève également que, le 17 juin 2015, elle a obtenu du directeur du bureau de poste d’expédition un certificat reconnaissant que le pli contenant la version papier de la requête aurait dû, selon le délai contractuel de livraison, parvenir au greffe du Tribunal le 5 juin 2015 et que, pour des raisons inconnues, il avait été livré le 8 juin 2015.

19      Le 25 juin 2015, soit le jour où le Tribunal prononçait son ordonnance d’irrecevabilité, les services postaux espagnols ont répondu à la réclamation de Vichy Catalán, introduite le 17 juin 2015, en admettant que le pli contenant la requête aurait dû être livré à son destinataire le 5 juin 2015 et que sa livraison, le 8 juin 2015, était due à leur erreur.

20      Vichy Catalán considère que le Tribunal aurait dû lui notifier, de manière explicite, l’existence d’une possible cause d’irrecevabilité de son recours et non rendre une ordonnance d’irrecevabilité dans des délais à ce point brefs qu’ils ne lui ont pas permis de faire valoir ses arguments de manière adéquate, au mépris de ses droits de la défense.

21      En tout état de cause, Vichy Catalán estime que l’existence ou non d’un cas fortuit lors de l’envoi de la version papier de sa requête devrait être sans pertinence dès lors que l’intégralité de sa requête avait été dûment transmise par courrier électronique, le 26 mai 2015.

22      L’EUIPO et Hijos de Rivera contestent le bien-fondé du premier moyen.

 Appréciation de la Cour

23      Il convient de rappeler que les délais de recours au titre de l’article 263 TFUE sont d’ordre public et que l’application stricte des règles de procédure répond à l’exigence de sécurité juridique ainsi qu’à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice. Il ne peut être dérogé aux délais de procédure que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, de cas fortuit ou de force majeure (ordonnance du 30 septembre 2014, Faktor B. i W. G?sina/Commission, C-138/14 P, non publiée, EU:C:2014:2256, point 17 et jurisprudence citée).

24      Par ailleurs, la notion de « cas fortuit » comporte un élément objectif, relatif aux circonstances anormales et étrangères à l’opérateur, et un élément subjectif, tenant à l’obligation, pour l’intéressé, de se prémunir contre les conséquences de l’événement anormal en prenant des mesures appropriées sans consentir des sacrifices excessifs. En particulier, l’opérateur doit surveiller soigneusement le déroulement de la procédure entamée et, notamment, faire preuve de diligence afin de respecter les délais prévus (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2011, Bell & Ross/OHMI, C-426/10 P, EU:C:2011:612, point 48). Ainsi, la notion de cas fortuit ne s’applique pas à une situation où une personne diligente et avisée aurait objectivement été en mesure d’éviter l’expiration d’un délai de recours (voir, par analogie, ordonnance du 18 janvier 2005, Zuazaga Meabe/OHMI, C-325/03 P, EU:C:2005:28, point 25). En outre, il n’appartient pas au Tribunal de pallier le manque de diligence d’un requérant (ordonnance du 8 novembre 2007, Belgique/Commission, C-242/07 P, EU:C:2007:672, point 23).

25      Or, en l’espèce, Vichy Catalán reconnaît avoir obtenu, le 17 juin 2015, un certificat, délivré par le directeur du bureau de poste d’expédition de la version papier de la requête, par lequel celui-ci constatait notamment que le courrier envoyé par Vichy Catalán aurait dû, selon le délai contractuel de livraison, être remis à son destinataire le 5 juin 2015 et que, pour des raisons inconnues, celui-ci n’était parvenu à destination que le 8 juin 2015.

26      Il s’ensuit que, à compter du 17 juin 2015, Vichy Catalán disposait d’un document qui lui permettait de supposer qu’un événement anormal et indépendant de sa volonté avait indûment retardé la livraison, au greffe du Tribunal, du pli contenant sa requête. Or, Vichy Catalán n’a pas porté ce document à la connaissance du Tribunal avant que l’ordonnance attaquée soit prononcée, le 25 juin 2015, alors même que, d’une part, le 15 juin 2015, le greffe du Tribunal l’avait informée que la version papier de sa requête avait été reçue hors délai, le 8 juin 2015, et que, d’autre part, le 16 juin 2015, Vichy Catalán avait immédiatement répondu au greffe du Tribunal en contestant l’interprétation retenue par celui-ci de l’article 43, paragraphe 6, de l’ancien règlement de procédure du Tribunal.

27      Il y a lieu dès lors de considérer que Vichy Catalán ne s’est pas prémunie avec suffisamment de diligence contre les conséquences de l’événement anormal. En effet, afin de faire preuve de la diligence requise dans les circonstances de la présente affaire, Vichy Catalán aurait dû attirer l’attention du Tribunal sur l’existence probable d’un cas fortuit en lui transmettant, sans délai et en tout cas avant le 25 juin 2015, date du prononcé de l’ordonnance, le document émanant du directeur du bureau d’expédition de la requête en version papier, visé au point 26 de la présente ordonnance.

28      Au regard de ce qui précède, il ne saurait être reproché au Tribunal ni une violation de l’article 45 du statut ni d’avoir constaté, dans l’ordonnance attaquée, que la requête de Vichy Catalán avait été déposée hors délai et que cette partie n’avait ni établi, ni même invoqué, l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure.

29      Le manque de diligence de la requérante est corroboré par le délai de plusieurs jours que Vichy Catalán a laissé s’écouler entre l’envoi par courrier électronique de sa requête et le moment où elle a cherché à envoyer la version papier de cette dernière, alors même que, selon les instructions pratiques aux parties adoptées par le Tribunal le 5 juillet 2007 (JO 2007, L 232, p. 7), telles que modifiées le 8 juin 2011 (JO 2011, L 180, p. 52), d’une part, « le dépôt d’une pièce par voie de télécopie ou de courrier électronique ne vaut aux fins du respect d’un délai que si l’original signé parvient au greffe au plus tard dans le délai, visé par l’article 43, paragraphe 6, [de l’ancien règlement de procédure du Tribunal], de dix jours après ce dépôt » et, d’autre part, « l’original signé doit être expédié sans retard, immédiatement après l’envoi de la copie, sans y apporter de corrections ou modifications, mêmes mineures ».

30      En n’expédiant pas la version papier de sa requête immédiatement après l’envoi de sa copie électronique, Vichy Catalán a augmenté le risque que sa requête parvienne tardivement au Tribunal et n’a pas fait preuve de la diligence attendue d’un requérant normalement avisé en vue de respecter les délais.

31      Enfin, contrairement à ce que soutient Vichy Catalán, la simple circonstance que l’intégralité de la requête a été transmise par courrier électronique le 26 mai 2015 n’est pas de nature à démontrer que le délai de recours a été, en l’espèce, respecté. En effet, une telle date ne peut être prise en compte, conformément à l’article 43, paragraphe 6, de l’ancien règlement de procédure du Tribunal, que pour autant que l’original signé de l’acte est déposé au greffe au plus tard dix jours après.

32      Il s’ensuit que le premier moyen est manifestement non fondé.

 Sur les deuxième et troisième moyens

33       Par ses deuxième et troisième moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, Vichy Catalán conteste l’appréciation du Tribunal selon laquelle le recours est irrecevable en raison de l’absence de signature manuscrite de l’avocat sur la version papier de la requête.

34      Au point 12 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a constaté que, indépendamment de l’irrecevabilité du recours découlant d’une absence de signature manuscrite, le recours devait, en tout état de cause, être rejeté comme manifestement irrecevable en raison du fait que l’original de la requête n’avait pas été déposé au greffe dans le délai requis.

35      Il suffit dès lors de constater que le motif d’irrecevabilité tiré de l’absence d’une signature manuscrite est surabondant dans la motivation de l’ordonnance attaquée.

36      Or, dès lors qu’un des motifs retenus par le Tribunal est suffisant pour justifier le dispositif de son ordonnance, les vices dont pourrait être entaché un autre motif, dont il est fait état dans l’ordonnance en question, sont, en tout état de cause, sans influence sur ledit dispositif, de telle sorte que le moyen qui les invoque est inopérant et doit être rejeté.

37      Il s’ensuit que les deuxième et troisième moyens sont inopérants et doivent donc être rejetés.

 Sur les dépens

38      En application de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance.

39      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, dudit règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EUIPO ayant conclu à la condamnation de Vichy Catalán et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents au pourvoi.

40      Conformément à l’article 140, paragraphe 3, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, la Cour peut décider qu’une partie intervenante autre que celles mentionnées aux paragraphes 1 et 2 dudit article 140 supportera ses propres dépens. Par conséquent, Hijos de Rivera supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Vichy Catalán SA est condamnée aux dépens.

3)      Hijos de Rivera SA supporte ses propres dépens.

Signatures

* Langue de procédure : l’espagnol.



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