ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
19 avril 2018 (*)
« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Définition et acquisition de la marque de l’Union européenne – Motifs relatifs de refus – Opposition par le titulaire d’une marque non enregistrée ou d’un autre signe utilisé dans la vie des affaires – Examen par la chambre de recours – Preuves nouvelles ou supplémentaires – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 76, paragraphe 2 – Règlement (CE) no 2868/95 – Règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa »
Dans l’affaire C-478/16 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 septembre 2016,
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. A. Folliard-Monguiral et P. Ivanov ainsi que par Mme D. Stoyanova-Valchanova, en qualité d’agents,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Group OOD, établie à Sofia (Bulgarie), représentée par Mes D. Dragiev et A. Andreev, advokati,
partie demanderesse en première instance,
Kosta Iliev, demeurant à Sofia (Bulgarie), représenté par Me S. Ganeva, advokat,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. D. Šváby, (rapporteur), faisant fonction de président de chambre, MM. E. Jaraši?nas et M. Vilaras, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 septembre 2017,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 décembre 2017,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 juin 2016, Group/EUIPO – Iliev (GROUP Company TOURISM & TRAVEL) (T-567/14, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:371), par lequel celui-ci a annulé la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), du 2 juin 2014 (affaire R 1587/2013-4) (ci-après la « décision litigieuse »), relative à une procédure d’opposition entre Group OOD et M. Kosta Iliev.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (CE) no 207/2009
2 Sous l’intitulé « Motifs relatifs de refus », l’article 8 du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne] (JO 2009, L 78, p. 1), prévoit, à son paragraphe 4 :
« Sur opposition du titulaire d’une marque non enregistrée ou d’un autre signe utilisé dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale, la marque demandée est refusée à l’enregistrement, lorsque et dans la mesure où, selon la législation de l’Union ou le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe :
a) des droits à ce signe ont été acquis avant la date de dépôt de la demande de marque [de l’Union européenne] ou, le cas échéant, avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande de marque [de l’Union européenne] ;
b) ce signe donne à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. »
3 L’article 76 dudit règlement, intitulé « Examen d’office des faits », énonce :
« 1. Au cours de la procédure, l’Office procède à l’examen d’office des faits ; toutefois, dans une procédure concernant des motifs relatifs de refus d’enregistrement, l’examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties.
2. L’Office peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile. »
Le règlement no 2868/95
4 Sous l’intitulé « Faits, preuves et observations présentées à l’appui de l’opposition », la règle 19 du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque [de l’Union européenne] (JO 1995, L 303, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21) (ci-après le « règlement no 2868/95 »), dispose, à son paragraphe 2 :
« Au cours du délai visé au paragraphe 1, l’opposant produit également la preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection de sa marque antérieure ou de son droit antérieur, ainsi que des éléments de preuve de son habilitation à former opposition. L’opposant produit notamment les preuves suivantes :
a) si l’opposition est fondée sur l’existence d’une marque autre qu’une marque [de l’Union européenne], la preuve de son dépôt ou enregistrement, en produisant :
i) si la marque n’est pas encore enregistrée, une copie du certificat de dépôt correspondant, ou tout autre document équivalent émanant de l’administration auprès de laquelle la demande de marque a été déposée ;
ii) si la marque est enregistrée, une copie du certificat d’enregistrement correspondant et, le cas échéant, du dernier certificat de renouvellement, attestant que le délai de protection de la marque dépasse le délai visé au paragraphe 1 et de toute extension de celui-ci, ou tout autre document équivalent émanant de l’administration auprès de laquelle la demande de marque a été déposée ;
[...]
d) si l’opposition est fondée sur l’existence d’un droit antérieur au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement, la preuve de son acquisition, de sa permanence et de l’étendue de la protection de ce droit ;
[...] »
5 La règle 50 du règlement no 2868/95, intitulée « Examen du recours », dispose, à son paragraphe 1 :
« Sauf disposition contraire, les dispositions relatives aux procédures devant l’instance qui a rendu la décision attaquée sont applicables mutatis mutandis à la procédure de recours.
[...]
Lorsque le recours est dirigé contre une décision d’une division d’opposition, la chambre de recours limite l’examen du recours aux faits et preuves présentés dans les délais fixés ou précisés par la division d’opposition conformément au règlement et aux présentes règles, à moins que la chambre ne considère que des faits et preuves nouveaux ou supplémentaires doivent être pris en compte conformément à l’article [76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009]. »
Le droit bulgare
6 L’article 12, paragraphe 6, de la Zakon za markite i gueografskite oznachenija (loi sur les marques et les indications géographiques,DV no 19, du 9 mars 2010) (ci-après la « loi sur les marques »), prévoit :
« Dans le cas d’une opposition formée par le titulaire d’une marque non enregistrée utilisée dans la vie des affaires sur le territoire de la République de Bulgarie, aucune marque dont la date de demande d’enregistrement est postérieure à l’utilisation dans la vie des affaires de la marque non enregistrée ne peut être enregistrée ».
Les antécédents du litige
7 Le Tribunal a, aux points 1 à 13 de l’arrêt attaqué, exposé les antécédents du litige comme suit :
« 1 Le 13 février 2012, l’intervenant, M. Kosta Iliev, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à [l’EUIPO], en vertu du règlement (CE) no 207/2009 [...].
2 La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :
3 Les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 35, 39 et 43 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.
4 La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 72/2012, du 16 avril 2012.
5 Le 11 juillet 2012, [...] Group, a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009, à l’enregistrement de la marque demandée dans son intégralité.
6 À l’appui de son opposition, [Group] a invoqué une marque figurative non enregistrée, utilisée en Bulgarie, en République tchèque, en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie pour des services relevant de la classe 39, telle que reproduite ci–après :
7 Dans l’acte d’opposition, [Group] a indiqué avoir utilisé la marque non enregistrée depuis 2003 pour des services de transport par autocar en Bulgarie, en République tchèque, en Hongrie et en Slovaquie. Elle dit avoir exploité, sous une licence gouvernementale, une ligne d’autocar régulière entre Sofia (Bulgarie) et Prague (République tchèque) et a produit de nombreux documents à l’appui de son opposition.
8 Par décision du 14 juin 2013, la division d’opposition a rejeté l’opposition formée par [Group] et l’a condamnée aux dépens. Elle a relevé, en particulier, que [Group] n’avait pas précisé ni apporté de preuve concernant le droit national applicable sur lequel elle se fondait et en vertu duquel l’usage de la marque demandée aurait pu être interdit dans les États membres concernés.
9 Le 16 août 2013, [Group] a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.
10 Par décision du 2 juin 2014 [...] la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. Elle a considéré, en substance, que [Group] n’avait pas, au cours de la procédure d’opposition, apporté des preuves désignant le droit national applicable. Elle a rappelé que [Group] avait l’obligation d’exposer et de démontrer que, dans les États membres invoqués dans son acte d’opposition, il existait une protection des marques non enregistrées et un droit fondé sur celles-ci d’annuler une marque postérieure ou d’interdire son utilisation. [Group] aurait également eu l’obligation de faire connaître à l’EUIPO les dispositions légales applicables afin que ce dernier puisse évaluer les conditions spécifiques prévues par chacune de ces dispositions.
11 S’agissant, en particulier, de la marque bulgare non enregistrée invoquée, la chambre de recours a estimé que les conditions prévues à la règle 19, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2868/95 [...] n’avaient pas été remplies dans la mesure où les documents produits par [Group] au cours de la procédure d’opposition ne comportaient aucune référence au droit national bulgare. Quant aux références à trois dispositions juridiques dans l’exposé des motifs du recours, la chambre de recours a estimé qu’elles étaient tardives, étant donné que la mention requise des fondements juridiques doit être fournie dans les délais impartis au cours de la procédure d’opposition. La détermination des fondements des griefs ne pourrait pas être différée jusqu’au stade du recours.
12 S’agissant, tout particulièrement, de l’article 12, paragraphe 6, de la loi [sur les marques], auquel [Group] s’est référée dans ses motifs du recours du 16 août 2013, la chambre de recours a constaté que [Group] avait uniquement cité le texte de l’article 12, paragraphe 1, de cette loi, sans avoir fourni la version bulgare originale ou prouvé que ledit texte provenait d’une source officielle et fiable. [...]
13 En tout état de cause, selon la chambre de recours, l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 était inapplicable en l’espèce, dans la mesure où la simple citation de quelques dispositions nationales sans indication de leur source de manière précise et sans production du texte officiel de ces dispositions ne pouvait constituer des faits et des preuves au sens de cet article. »
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
8 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er août 2014, Group a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse en invoquant trois moyens, tirés, respectivement, d’une violation de l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, d’une violation de l’article 76, paragraphe 2, de ce règlement et d’une violation de l’article 8, paragraphe 4, dudit règlement.
9 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait droit audit recours et a annulé la décision litigieuse.
10 Le Tribunal a examiné ensemble les trois moyens.
11 Après avoir exposé le contenu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, le Tribunal a rappelé que, en vertu de l’article 76, paragraphe 1, de ce règlement, il incombe à l’opposant d’apporter la preuve que le droit qui régit le signe invoqué peut justifier d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. À cet effet, l’opposant doit démontrer que le signe en cause entre dans le champ d’application du droit de l’État membre invoqué et qu’il permet d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente.
12 Aux points 32 et 33 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ensuite relevé que la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95 fait peser sur l’opposant la charge de présenter non seulement des éléments démontrant qu’il satisfait aux conditions requises, conformément à la législation nationale dont il demande l’application, mais également des éléments de preuve établissant le contenu de cette législation.
13 Le Tribunal en a déduit, au point 34 de l’arrêt attaqué, que, « en l’absence de toute allégation ou de tout élément de preuve en ce sens présenté par les parties, l’EUIPO n’a pas d’obligation de recueillir d’office les éléments relatifs au droit national applicable ».
14 Le Tribunal a relevé, au point 38 de l’arrêt attaqué, que Group a, dans son exposé des motifs du recours porté devant la chambre de recours, fait référence à trois dispositions du droit bulgare, en ce compris l’article 12, paragraphe 6, de la loi sur les marques.
15 À cet égard, et en premier lieu, le Tribunal a examiné la question de savoir si, en vertu de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec la règle 50, paragraphe 1, du règlement no 2868/95, la chambre de recours disposait d’un pouvoir d’appréciation afin de prendre en considération une telle preuve relative au contenu du droit national produite pour la première fois devant elle.
16 Après avoir rappelé, aux points 44 et 45 de l’arrêt attaqué, les exigences établies par la jurisprudence portant sur le pouvoir d’appréciation dont est investi l’EUIPO, le Tribunal a mis en exergue, aux points 47 et 48 de l’arrêt attaqué, que, en application de la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 2868/95, la chambre de recours limite l’examen du recours aux faits et aux preuves présentés dans les délais fixés par la division d’opposition, à moins qu’elle ne considère que des faits et des preuves nouveaux ou supplémentaires doivent être pris en compte. En outre, ces éléments tardivement produits doivent être susceptibles de revêtir une réelle pertinence de prime abord. Enfin, le stade de la procédure auquel intervient la production tardive desdits éléments et les circonstances qui l’entourent ne doivent pas s’opposer à leur prise en compte.
17 Quant au point de savoir si les références à la loi sur les marques fournies par l’opposante dans l’exposé des motifs du recours devant la chambre de recours constituent des éléments de preuve « supplémentaires », au sens de la règle 50, paragraphe 1, du règlement no 2868/95, le Tribunal a jugé, au point 57 de l’arrêt attaqué, que ces références ne sont pas des éléments entièrement nouveaux et doivent être considérés comme faisant partie des éléments visant à prouver l’acquisition, la permanence et l’étendue de la protection de la marque bulgare non enregistrée.
18 En effet, le Tribunal a constaté, à ce même point, que certains éléments visant à démontrer l’existence, la validité et l’étendue de la protection de la marque non enregistrée antérieure ont été apportés au cours de la procédure devant la division d’opposition.
19 À l’appui de cette affirmation, le Tribunal a relevé, au point 58 de l’arrêt attaqué, que la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95 n’énumère pas de manière précise et exhaustive les éléments prouvant l’existence, la validité et l’étendue de la protection d’un droit antérieur. Il en a déduit que la législation pertinente peut être considérée comme étant un des éléments constituant la preuve de l’acquisition, de la permanence et de la protection d’un droit antérieur, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009.
20 Le Tribunal en a conclu, au point 61 de l’arrêt attaqué, que c’est à tort que la chambre de recours n’a ni usé du pouvoir d’appréciation dont l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 l’investissait pourtant ni justifié son refus de prendre en compte les dispositions de la loi sur les marques produites tardivement devant elle.
21 En second lieu, le Tribunal a examiné si Group s’était bien acquittée de son obligation de produire les éléments du droit national invoqué conformément à la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95. À cet égard, le Tribunal a jugé aux points 69 et 70 de l’arrêt attaqué que :
« 69 Premièrement, force est de constater que ni les règlements nos 207/2009 et 2868/95 ni la jurisprudence n’identifient la manière dont le contenu de la législation nationale doit être prouvé. Partant, la chambre de recours ne saurait exiger que [Group] produise un extrait du Darzhaven vestnik ou le texte bulgare officiel, notamment lorsque la langue de procédure devant l’EUIPO est l’anglais.
70 À cet égard, il y a lieu de relever que les éléments du droit national requis de la part de la requérante doivent permettre à l’EUIPO d’identifier correctement et sans équivoque le droit applicable. Ces informations relatives à la législation applicable doivent permettre à l’EUIPO de comprendre et d’appliquer le contenu de cette législation, les conditions d’obtention de la protection et l’étendue de celle-ci, et permettre au demandeur d’exercer ses droits de la défense. Or, pour parvenir à ces objectifs, le texte de la législation issu d’une source officielle n’est pas indispensable. »
22 En dernier lieu, aux points 76 à 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné le devoir de vérification qui incombe à l’EUIPO. En particulier, il relève, aux points 81 et 82 de cet arrêt, que, si la chambre de recours avait des doutes sur l’applicabilité du droit national invoqué par Group, elle était tenue d’exercer son pouvoir de vérification et de s’informer d’office sur le droit national concerné.
Les conclusions des parties devant la Cour
23 L’EUIPO demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de condamner Group aux dépens.
24 Group demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner l’EUIPO à supporter les dépens.
Sur le pourvoi
25 À l’appui de son pourvoi, l’EUIPO soulève deux moyens respectivement tirés d’une violation de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec la règle 50, paragraphe 1, du règlement no 2868/95, et d’une violation de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
26 Par la première branche de son premier moyen, l’EUIPO soutient en substance qu’il découle de l’arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI (C-263/09 P, EU:C:2011:452, point 50), que l’opposant supporte la charge de produire des éléments de preuve établissant le contenu de la législation nationale dont il demande l’application. Selon l’EUIPO, il s’agit d’une condition préalable et autonome dont l’inobservation ne peut pas être régularisée devant la chambre de recours si l’opposantn’a pas produit en temps utile, devant la division d’opposition, d’informations relatives à cette législation. En effet, l’absence de tels éléments de preuve établissant le contenu de la législation ne permettrait ni à l’EUIPO ni au demandeur à l’enregistrement d’une marque d’apprécier la pertinence des faits, des preuves ou des arguments fournis au soutien de l’opposition. En outre, le fondement juridique de l’opposition demeurerait indéterminé et empêcherait l’EUIPO d’exercer son pouvoir de vérification.
27 Par la seconde branche de son premier moyen, l’EUIPO fait valoir, en substance, que, pour relever du champ d’application de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec la règle 50, paragraphe 1, du règlement no 2868/95, les faits et les éléments de preuve présentés pour la première fois devant la chambre de recours doivent être additionnels ou supplémentaires au regard des faits et des documents déjà présentés et se rapporter à la même condition prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 que celle pour laquelle ils ont été produits. Or, au point 57 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait admis à tort que, en règle générale, la production d’informations permettant d’établir le contenu du droit national était supplémentaire par rapport aux éléments de preuve produits antérieurement se rapportant à n’importe laquelle des conditions énumérées à cet article.
28 En omettant de vérifier s’il existait un lien suffisamment étroit entre, d’une part, les informations relatives à la législation nationale présentées devant la chambre de recours et, d’autre part, les preuves produites en temps utile devant la division d’opposition, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. En effet, en l’absence d’un tel lien, la preuve présentée serait « entièrement nouvelle » et non additionnelle ou supplémentaire comme l’exige pourtant l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009.
29 Group expose que le pouvoir d’appréciation de la chambre de recours, en vertu de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, peut être exercé par celle-ci, dès lors, d’une part, que les éléments tardivement produits sont prima facie susceptibles de revêtir une réelle pertinence en ce qui concerne le sort de l’opposition, et, d’autre part, que le stade de la procédure auquel intervient cette production tardive et les circonstances qui l’entourent ne s’opposent pas à cette prise en compte.
30 Group fait valoir que c’est à tort que l’EUIPO considère que, dans le cadre de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, le pouvoir d’appréciation porte seulement sur l’analyse, par la chambre de recours, de la question de savoir si les faits invoqués et les preuves présentées tardivement ont un caractère totalement nouveau ou s’ils relèvent de la catégorie des éléments additionnels ou supplémentaires. Il soutient que, en l’occurrence, le contenu de l’article 12, paragraphe 6, de la loi sur les marques doit être qualifié de « preuve supplémentaire » afin d’établir le contenu du droit subjectif sur les marques non enregistrées. En effet, la mention de cette disposition dans les motifs invoqués devant la chambre de recours ne constituerait pas un élément entièrement nouveau et devrait être considéré comme faisant partie des éléments visant à prouver l’acquisition, la permanence et l’étendue de la protection de la marque bulgare non enregistrée.
31 À cet égard, Group souligne que la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95 n’énumère pas, de manière précise et exhaustive, les éléments prouvant l’existence, la validité et l’étendue de la protection d’un droit antérieur, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, que l’opposant doit présenter à l’EUIPO. Group estime donc que, au regard de la preuve, la loi sur les marques ne constitue qu’un élément parmi d’autres qui se rapporte à l’établissement d’un droit subjectif valable sur une marque non enregistrée.
Appréciation de la Cour
32 Il y a lieu tout d’abord de répondre à la seconde branche du premier moyen.
33 Il convient de rappeler que l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 énonce que l’EUIPO peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile.
34 Il découle du libellé de cette disposition que, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation, en application des dispositions du règlement no 207/2009, et qu’il n’est nullement interdit à l’EUIPO de tenir compte de faits et de preuves ainsi tardivement invoqués ou produits (arrêt du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C-29/05 P, EU:C:2007:162, point 42).
35 La Cour a jugé que cette disposition investit l’EUIPO d’un large pouvoir d’appréciation à l’effet de décider, tout en motivant sa décision sur ce point, s’il y a lieu ou non de prendre en compte des preuves produites tardivement (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C-29/05 P, EU:C:2007:162, point 43).
36 Par ailleurs, la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 2868/95 prévoit que la chambre de recours dispose, lors de l’examen d’un recours dirigé contre une décision d’une division d’opposition, du pouvoir d’appréciation découlant de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 à l’effet de décider s’il y a lieu de prendre en compte des faits et des preuves nouveaux ou supplémentaires qui n’ont pas été présentés dans les délais fixés ou précisés par la division d’opposition.
37 À cet égard, la Cour a jugé que, lorsque des éléments de preuve ont été produits dans le délai imparti par l’EUIPO, la production de preuves supplémentaires demeure possible, mais que la règle 50 du règlement no 2868/95 ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle élargit les pouvoirs d’appréciation des chambres de recours à des preuves nouvelles (arrêt du 21 juillet 2016, EUIPO/Grau Ferrer, C-597/14 P, EU:C:2016:579, points 26 et 27).
38 En l’occurrence, par la seconde branche de son premier moyen, l’EUIPO fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 57 et 58 de l’arrêt attaqué, que les références tardives à la loi sur les marques fournies par Group dans son exposé des motifs invoqués devant la chambre de recours ne sont pas des éléments entièrement nouveaux et qu’elles doivent être considérées comme faisant partie des éléments additionnels visant à prouver l’acquisition, la permanence et l’étendue de la protection du droit antérieur, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, à savoir la marque bulgare non enregistrée.
39 Toutefois, en statuant ainsi, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.
40 Conformément à la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95, il incombe à l’opposant de fournir la preuve de l’acquisition, de la permanence et de l’étendue de la protection du droit antérieur. Ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 58 de l’arrêt attaqué, cette règle n’énumère pas de manière précise et exhaustive les éléments prouvant l’existence, la validité et l’étendue de la protection d’un droit antérieur, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, qu’un opposant, invoquant un tel droit, doit apporter.
41 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur que le Tribunal a pu juger, aux points 57 et 58 de l’arrêt attaqué, que la référence explicite à la loi sur les marques peut faire partie des éléments tendant à prouver l’acquisition, la permanence et l’étendue de la protection du droit antérieur allégué.
42 S’agissant de l’argumentation de l’EUIPO, selon laquelle la qualification de « preuves supplémentaires » des informations relatives à la législation nationale présentées devant la chambre de recours nécessitait l’existence d’un lien étroit entre celles-ci et les preuves produites en temps utile devant la division d’opposition, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, en substance, estimé qu’un tel lien existait.
43 En effet, la législation bulgare pertinente était indispensable pour l’appréciation des preuves produites en temps utile par Group et, inversement, en l’absence d’indication sur le contenu de cette législation, lesdites preuves étaient dépourvues de toute utilité.
44 Il ressort des considérations qui précèdent que, contrairement à ce qu’allègue l’EUIPO, le Tribunal n’a pas, dans l’arrêt attaqué, élargi le pouvoir d’appréciation de la chambre de recours à des preuves nouvelles, en contradiction avec l’arrêt du 21 juillet 2016, EUIPO/Grau Ferrer (C-597/14 P, EU:C:2016:579).
45 Compte tenu de ce qui précède, la seconde branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
46 S’agissant de la première branche du premier moyen, il est, certes, exact que, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI (C-263/09 P, EU:C:2011:452, point 50), une partie se trouvant dans la situation de Group supporte la charge de présenter à l’EUIPO non seulement les éléments démontrant qu’elle remplit les conditions requises, conformément à la législation nationale dont elle demande l’application, afin de pouvoir faire interdire l’usage d’une marque de l’Union européenne en vertu d’un droit antérieur, mais aussi les éléments établissant le contenu de cette législation.
47 Toutefois, cette considération ne saurait faire obstacle à l’application des dispositions et de la jurisprudence évoquées aux points 33 à 37 du présent arrêt, qui admettent la possibilité pour les chambres de recours de l’EUIPO de prendre en considération, sous certaines conditions, des preuves présentées pour la première fois devant elles.
48 Il s’ensuit que la première branche du premier moyen soulevé par l’EUIPO doit être rejetée comme étant non fondée.
49 Par conséquent, le premier moyen soulevé par l’EUIPO doit être rejeté dans son intégralité comme étant non fondé.
Sur le second moyen
Argumentation des parties
50 Par son second moyen, l’EUIPO reproche, en substance, au Tribunal d’avoir admis que la simple citation d’une disposition de la loi sur les marques, dans la version en langue de procédure, suffit pour satisfaire aux conditions de forme énoncées à la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95.
51 L’EUIPO estime que la production de preuves relatives au droit national doit obéir à un certain formalisme et que la chambre de recours était ainsi autorisée à exiger de Group que celle-ci établisse le contenu du droit national invoqué par la production d’une copie d’un document officiel dans la version en langue originale, accompagné de sa traduction dans la langue de procédure. Une telle exigence contribuerait à garantir un parallélisme des formes entre la règle 19, paragraphe 2, sous d), et la règle 19, paragraphe 2, sous a), ii), dudit règlement qui exige la production du certificat d’enregistrement de la marque invoquée au soutien de l’opposition.
52 L’EUIPO concède que l’exigence d’un tel formalisme ne ressort pas du libellé de la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95. Toutefois, elle se justifierait au regard des objectifs poursuivis par l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, visant, d’une part, à garantir les droits de la défense du demandeur à l’enregistrement de la marque en cause et, d’autre part, à permettre à l’EUIPO d’exercer utilement son pouvoir de vérification.
53 Group expose, en substance, qu’il convient de rejeter ce moyen comme étant non fondé, dès lors qu’il ne ressort du libellé de la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95 aucune exigence de forme quant à la preuve de la législation nationale invoquée.
Appréciation de la Cour
54 Afin d’apprécier le bien-fondé de l’interprétation exposée par l’EUIPO, il convient de prendre en considération le libellé et l’économie de la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95.
55 Selon le libellé de la règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement no 2868/95, lorsque l’opposition est fondée sur l’existence d’un droit antérieur, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, il incombe à l’opposant de produire la preuve de l’acquisition, de la permanence et de l’étendue de la protection de ce droit.
56 Il ne ressort pas du libellé de cette disposition que cette règle exige un formalisme particulier quant au mode de preuve d’un droit antérieur tel qu’une marque nationale non enregistrée.
57 S’agissant de l’économie de la règle 19, paragraphe 2, du règlement no 2868/95, il apparaît que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 83 de ses conclusions, le législateur a modulé les modes de preuve exigés en fonction de la nature du droit invoqué au soutien de l’opposition. Ainsi, tandis que la règle 19, paragraphe 2, sous a), de ce règlement exige explicitement la production du certificat d’enregistrement de cette marque pour une opposition fondée sur une marque enregistrée autre qu’une marque de l’Union européenne, la règle 19, paragraphe 2, sous b), dudit règlement ne prévoit pas de mode de preuve exclusif en ce qui concerne l’opposition fondée sur un droit antérieur, tel qu’une marque nationale non enregistrée.
58 Il s’ensuit que, d’une part, l’opposant est libre du choix de la forme de la preuve qu’il juge utile de présenter à l’EUIPO dans le cadre d’une opposition fondée sur un droit antérieur, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, et, d’autre part, l’EUIPO est tenu d’analyser les éléments présentés par l’opposant, sans pouvoir d’emblée refuser un type de preuve en raison de sa forme.
59 C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu affirmer au point 69 de l’arrêt attaqué que ni le règlement no 2868/95 ni le règlement no 207/2009 n’identifient la manière dont le contenu de la législation nationale doit être prouvé et que, dans ces circonstances, la chambre de recours ne saurait exiger que Group produise un extrait du Darzhaven vestnik.
60 Quant à l’argument relatif au droit de la défense du demandeur à l’enregistrement de la marque en question, il y a lieu de relever que, en jugeant, au point 70 de l’arrêt attaqué, que la production d’un texte de la législation nationale issu d’une source officielle n’est pas indispensable pour permettre au demandeur d’exercer ses droits de la défense, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.
61 En effet, il suffit, à cet égard, que le demandeur à l’enregistrement d’une marque puisse identifier correctement et sans équivoque le droit national invoqué au soutien de l’opposition.
62 Par conséquent, le second moyen soulevé par l’EUIPO doit être rejeté comme étant non fondé.
63 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
64 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Group ayant conclu à la condamnation de l’EUIPO et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner celui-ci aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) est condamné aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure : le bulgare.