ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
17 octobre 2019 (*)
« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 15 – Notion d’“usage sérieux” – Exigence d’usage de la marque conformément à sa fonction essentielle »
Dans l’affaire C-514/18 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 6 août 2018,
Landeskammer für Land- und Forstwirtschaft in Steiermark, établie à Graz (Autriche), représentée par Mes I. Hödl et S. Schoeller, Rechtsanwälte,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Gabriele Schmid, demeurant à Halbenrain (Autriche), représentée par Me B. Kuchar, Rechtsanwältin,
partie requérante en première instance,
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Hanf, en qualité d’agent,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. E. Juhász, faisant fonction de président de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur) et C. Lycourgos, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, la Landeskammer für Land- und Forstwirtschaft in Steiermark (chambre régionale d’agriculture et de sylviculture de Styrie, Autriche) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne, du 7 juin 2018, Schmid/EUIPO – Landeskammer für Land- und Forstwirtschaft in Steiermark (Steirisches Kürbiskernöl) (T-72/17, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:335), pour autant que celui-ci a annulé la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), du 7 décembre 2016 (affaire R 1768/2015-4), relative à une procédure de déchéance entre Mme Gabriele Schmid et la chambre régionale d’agriculture et de sylviculture de Styrie (ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 Le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne] (JO 2009, L 78, p. 1), a été modifié par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21), entré en vigueur le 23 mars 2016. Il a, par la suite, été abrogé et remplacé, avec effet au 1er octobre 2017, par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits à l’origine du litige, ce pourvoi doit être examiné au regard du règlement no 207/2009, dans sa version initiale.
3 Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement :
« 1. Si, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, la marque [de l’Union européenne] n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans [l’Union] pour les produits ou les services pour lesquelles elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque [de l’Union européenne] est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage.
[...]
2. L’usage de la marque [de l’Union européenne] avec le consentement du titulaire est considéré comme fait par le titulaire. »
4 L’article 51, paragraphe 1, dudit règlement disposait :
« Le titulaire de la marque [de l’Union européenne] est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’[Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :
a) si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans [l’Union] pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage [...] ;
[...] »
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
5 La requérante est une collectivité de droit public qui a, notamment, pour mission de veiller à la gestion durable de l’agriculture et de la sylviculture en Styrie.
6 Le 15 octobre 2007, elle a obtenu auprès de l’EUIPO la publication de l’enregistrement international, désignant l’Union européenne, de la marque individuelle suivante :
7 Les produits visés par cette marque relèvent de la classe 29, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante :
« Huile de graines de courge produite conformément aux prescriptions techniques prévues par le règlement [(CE) no 1263/96 de la Commission, du 1er juillet 1996, complétant l’annexe du règlement (CE) no 1107/96 relatif à l’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine au titre de la procédure prévue à l’article 17 du règlement (CEE) no 2081/92 (JO 1996, L 163, p. 19)] ».
8 La requérante a conclu un contrat de licence avec l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl. Aux termes des statuts de cette association, celle-ci a, notamment, pour « objet la défense des intérêts de ses membres en rapport avec la mise en œuvre de la protection des appellations d’origine assurée par la Commission européenne en ce qui concerne l’huile de graines de courge de Styrie [...] et le soutien de ses membres dans le cadre de la commercialisation de l’huile de graines de courge de Styrie sous la forme d’activités de marketing et de relations publiques correspondantes ».
9 En vertu de ce contrat, ladite association, en tant que licenciée exclusive, autorise ses membres à faire usage de ladite marque, à condition qu’ils se soumettent aux contrôles de conformité avec les prescriptions techniques de l’appellation d’origine.
10 Le 18 octobre 2013, Mme Schmid a présenté, auprès de l’EUIPO, une demande au titre de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, tendant à la déchéance de la marque susvisée pour défaut d’usage sérieux.
11 La requérante a sollicité le rejet de cette demande, en produisant plusieurs documents visant à prouver l’usage sérieux de la marque en cause.
12 Par décision du 8 juillet 2015, la division d’annulation de l’EUIPO a prononcé la déchéance de cette marque avec effet au 18 octobre 2013.
13 Le 2 septembre 2015, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO.
14 Par la décision litigieuse, la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a annulé la décision de la division d’annulation. Selon elle, l’usage sérieux avait été démontré. Elle a rappelé que la fonction essentielle d’une marque consiste à garantir que les produits qu’elle vise ont été fabriqués sous le contrôle d’une entreprise unique et a estimé que l’usage de la marque en cause remplissait cette fonction.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
15 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 février 2017, Mme Schmid a introduit un recours tendant à la réformation de la décision litigieuse et à la déchéance ou, à titre subsidiaire, à l’annulation de la décision litigieuse et au renvoi de l’affaire devant l’EUIPO.
16 À l’appui de son recours, Mme Schmid soulevait un moyen unique, tiré, notamment, d’une violation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009. Elle faisait, en particulier, valoir que la marque en cause n’avait pas été utilisée en tant qu’indication d’origine commerciale.
17 Après avoir rappelé, aux points 42 et suivants de l’arrêt attaqué, la jurisprudence relative à la notion d’« usage sérieux », au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, le Tribunal a conclu, au point 48 de l’arrêt attaqué, que, « lorsque l’usage d’une marque individuelle, tout en désignant l’origine géographique et les qualités imputables à cette origine des produits de différents producteurs, ne garantit pas aux consommateurs que ces produits ou ces services proviennent d’une entreprise unique sous le contrôle de laquelle ils sont fabriqués ou fournis et à laquelle, par conséquent, peut être attribuée la responsabilité de la qualité desdits produits ou services, un tel usage n’est pas fait conformément à la fonction d’indication d’origine ».
18 En l’occurrence, l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl, tout en exerçant un contrôle sur la conformité des produits de ses membres avec les prescriptions techniques de l’appellation d’origine, serait externe à la fabrication de ces produits et ne serait pas non plus responsable pour ceux-ci. Il en irait de même pour la requérante. Au regard de cette constatation, opérée au point 51 de l’arrêt attaqué, et dès lors que l’usage de la marque en cause n’indiquait pas aux consommateurs que les produits proviennent d’une entreprise unique, le Tribunal a conclu, au point 52 de cet arrêt, que cette marque n’avait pas été utilisée conformément à sa fonction essentielle et n’avait donc pas fait l’objet d’un « usage sérieux ».
19 Au point 53 du même arrêt, le Tribunal a précisé qu’il avait été invoqué devant lui que le contrôle exercé par l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl sur ses membres pouvait avoir lieu dans toutes les phases de la production de l’huile de graines de courge. Il a, toutefois, estimé que cette circonstance ne remettait pas en cause les appréciations figurant aux points 51 et 52 dudit arrêt. Ladite circonstance permettrait à la marque en cause « d’exercer la fonction relative au contrôle de qualité des produits lors du processus de fabrication, mais non celle relative à l’identité du producteur. »
20 Au point 54 de l’arrêt attaqué, il a été exposé que le point de savoir si le titulaire de la marque en cause et le tiers faisant usage, avec le consentement de ce titulaire, de cette marque soient des personnes de droit public ou privé n’est pas pertinent pour déterminer si l’usage est « sérieux », au sens du règlement no 207/2009.
21 Pour l’ensemble de ces raisons, le Tribunal a conclu, au point 55 de l’arrêt attaqué, que la chambre de recours, en estimant que le contrôle exercé sur les membres de l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl suffisait pour constater l’existence d’un usage sérieux et en omettant d’exiger que l’usage de la marque en cause indique, pour tous les produits revêtus de cette marque, une origine unique s’agissant de leur fabrication, avait erronément interprété et appliqué l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009.
22 Aux points 56 à 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a encore précisé que la marque en cause, telle qu’apposée sur les bouteilles d’huile de graines de courge et telle qu’utilisée dans des documents publicitaires, ne contenait à elle seule aucune référence à un producteur déterminé ou au titulaire de cette marque et permettait seulement d’indiquer l’origine géographique et la qualité du produit. Le fait que les membres de l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl sont tenus d’apposer sur ces bouteilles des vignettes avec des numéros de contrôle n’y changerait rien. Si le consommateur pouvait, certes, à l’aide de ces numéros de contrôle et du site Internet de cette association, comprendre que les producteurs sont tous affiliés à l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl, il ne s’ensuivrait pas pour autant que ces produits proviennent d’une entreprise unique.
23 Pour ces motifs, le Tribunal a annulé la décision litigieuse. Il a rejeté le recours pour le surplus.
Les conclusions des parties au pourvoi
24 Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour :
– d’annuler partiellement l’arrêt attaqué, dans la mesure où le Tribunal a annulé la décision litigieuse ;
– de statuer elle-même sur l’affaire ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal, et
– de condamner Mme Schmid aux dépens.
25 Tant Mme Schmid que l’EUIPO demandent à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner la requérante aux dépens.
Sur le pourvoi
26 À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque deux moyens, tirés respectivement d’une violation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 et de l’article 15, paragraphe 2, de celui-ci.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
27 La requérante reconnaît que la circonstance que l’usage d’une marque remplit la fonction de garantie de la qualité des produits pour lesquels cette marque est enregistrée ne suffit pas, selon la jurisprudence de la Cour, pour conclure qu’il y a usage conformément à la fonction essentielle d’indication de l’origine commerciale de ces produits. Elle fait cependant valoir, dans le cadre d’une première branche de son premier moyen, qui vise les points 44 à 48 de l’arrêt attaqué, que cette jurisprudence devrait être assouplie dans un cas tel que celui de l’espèce, où le titulaire de la marque et l’association avec laquelle il a conclu un contrat de licence exclusive exercent des contrôles de qualité lors de la fabrication des produits des membres de cette association.
28 À cet égard, la requérante attire l’attention sur le fait que la marque en cause a été enregistrée pour des produits qui doivent être conformes aux exigences de qualité d’une indication géographique protégée. Dans une telle situation, des contrôles auraient lieu au cours de chaque étape de la fabrication de ces produits. Cette circonstance distinguerait la présente affaire de celles ayant conduit, notamment, à l’arrêt du 8 juin 2017, W. F. Gözze Frottierweberei et Gözze (C-689/15, EU:C:2017:434).
29 La requérante souligne qu’elle distribue, aux membres de l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl, des vignettes assorties d’un numéro de contrôle, qui doivent être apposées sur les bouteilles de l’huile de graines de courge. Ces vignettes et ce numéro de contrôle indiqueraient que ces produits satisfont à des exigences de qualité qui sont surveillées. Une telle indication devrait être qualifiée d’« indication d’origine », au sens de la jurisprudence de la Cour portant sur la fonction essentielle des marques.
30 Sous cet angle, le Tribunal aurait, selon la requérante, dû qualifier l’ensemble des membres constituant l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl d’« entreprise unique », au sens de cette jurisprudence.
31 La nécessité de maintenir une marque telle que celle en cause en tant que marque individuelle serait, au demeurant, corroborée par le fait qu’un signe comportant une indication géographique protégée ne peut pas être enregistrée en tant que marque de certification.
32 La deuxième branche du premier moyen vise les points 50 à 53 de l’arrêt attaqué. Les motifs contenus à ces points seraient erronés en droit dans la mesure où le Tribunal y interprète l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 en ce sens qu’il y a « usage sérieux » seulement lorsque l’usage de la marque de l’Union européenne permet aux consommateurs d’identifier le producteur. Une telle interprétation de cette disposition par le Tribunal impliquerait que tout titulaire d’une marque individuelle qui fait fabriquer ses produits par d’autres entreprises risquerait d’être déchu des droits conférés par cette marque.
33 Par la troisième branche dudit moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a erronément qualifié, au point 54 de l’arrêt attaqué, comme étant dépourvu de pertinence le fait que le titulaire de la marque en cause est une collectivité de droit public.
34 La quatrième branche du même moyen vise les points 55 à 58 de l’arrêt attaqué. Selon la requérante, le Tribunal n’a pas suffisamment tenu compte du fait que les consommateurs comprennent que les produits revêtus de la marque en cause proviennent tous d’entreprises affiliées à l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl. Selon elle, cette circonstance suffisait pour conclure que l’usage de cette marque remplissait la fonction essentielle d’indication d’origine.
35 Selon Mme Schmid et l’EUIPO, le premier moyen est non fondé.
Appréciation de la Cour
36 Afin qu’il puisse être considéré qu’une marque fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de l’article 15, paragraphe 1, et de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, il est nécessaire que cette marque soit utilisée conformément à sa fonction essentielle (voir, notamment, arrêts du 11 mars 2003, Ansul, C-40/01, EU:C:2003:145, point 43, et du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C-668/17 P, EU:C:2019:557, point 38).
37 S’agissant des marques individuelles, cette fonction essentielle consiste à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance. En effet, pour que la marque puisse jouer son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir, elle doit constituer la garantie que tous les produits ou services qu’elle désigne ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (arrêt du 8 juin 2017, W. F. Gözze Frottierweberei et Gözze, C-689/15, EU:C:2017:434, point 41 et jurisprudence citée).
38 La nécessité, dans le cadre de l’application de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, d’un usage conforme à la fonction essentielle d’indication d’origine traduit le fait que, si une marque peut, certes, également faire l’objet d’usages conformes à d’autres fonctions, telles que celle consistant à garantir la qualité ou celles de communication, d’investissement ou de publicité, elle est, toutefois, soumise aux sanctions prévues par le règlement no 207/2009 lorsque, pendant une période ininterrompue de cinq ans, elle n’a pas été utilisée conformément à sa fonction essentielle (arrêt du 8 juin 2017, W. F. Gözze Frottierweberei et Gözze, C-689/15, EU:C:2017:434, point 42).
39 Le Tribunal en a déduit, à bon droit, au point 48 de l’arrêt attaqué, que l’usage d’une marque individuelle qui, tout en désignant l’origine géographique et les qualités imputables à cette origine des produits de différents producteurs, n’indique pas aux consommateurs que ces produits sont fabriqués sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité n’est pas fait conformément à la fonction essentielle d’une telle marque.
40 C’est également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a appliqué la jurisprudence de la Cour, citée aux points 36 à 38 du présent arrêt, sans assouplir l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 dans un cas, tel que celui de l’espèce, où le licencié exclusif du titulaire de la marque vérifie le respect, par ses membres, des prescriptions techniques auxquelles leurs produits doivent être conformes en raison de l’indication géographique protégée dont ils relèvent.
41 En effet, ainsi qu’il a été exposé aux points 51 à 53 de l’arrêt attaqué, cette circonstance ne change rien au fait que ledit licencié est, à l’instar du titulaire de la marque, externe à la fabrication des produits et que la responsabilité pour la qualité de ceux-ci continue à reposer sur les différents producteurs, qui ne constituent pas, en l’occurrence, une entreprise unique. Ainsi qu’il ressort des constatations factuelles opérées par le Tribunal, au sujet desquelles la requérante n’a pas invoqué de dénaturation, les producteurs de l’huile des graines de courge de Styrie affiliés à l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl sont certes tous soumis aux contrôles de cette association visant à garantir le respect des prescriptions techniques découlant de l’indication géographique protégée, mais ne sont pas économiquement liés au niveau de la fabrication et ne constituent pas, dans la vie des affaires, une « entreprise unique » à laquelle peut être attribuée la responsabilité de la qualité de leurs produits.
42 S’il ressort, pour le reste, de l’arrêt attaqué que les consommateurs trouvent, le cas échéant, sur la bouteille d’huile de graines de courge de Styrie offerte à la vente, une étiquette du producteur et peuvent dès lors identifier ce dernier, il n’en demeure pas moins que l’identification doit être rendue possible par l’usage de la marque en cause et non par l’apposition d’une étiquette supplémentaire.
43 Il s’ensuit que le Tribunal a pu conclure à bon droit que l’usage de la marque en cause ne remplissait pas la fonction essentielle d’une marque individuelle et ne saurait donc être qualifié d’« usage sérieux », au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009.
44 Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argument de la requérante selon lequel celle-ci risque ainsi d’être privée de la possibilité de protéger le signe en question en tant que marque de l’Union européenne, dès lors que tant la protection en tant que marque individuelle que celle en tant que marque certificative seraient exclues.
45 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le règlement sur la marque de l’Union européenne prévoit non seulement la possibilité de faire enregistrer une marque individuelle ou une marque certificative, mais également celle de faire enregistrer une marque collective. À cet égard, aux termes de l’article 66, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, « peuvent constituer des marques [de l’Union européenne] collectives les marques [de l’Union européenne] ainsi désignées lors du dépôt et propres à distinguer les produits ou les services des membres de l’association qui en est le titulaire de ceux d’autres entreprises. Peuvent déposer des marques [de l’Union européenne] collectives les associations [...], de même que les personnes morales relevant du droit public ». Au demeurant, en vertu du paragraphe 2 de cet article 66, « peuvent constituer des marques [de l’Union européenne] collectives au sens du paragraphe 1 des signes ou indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner la provenance géographique des produits ou des services ».
46 S’agissant encore de l’argument de la requérante selon lequel l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 suivie par le Tribunal aurait pour conséquence que tout titulaire d’une marque individuelle qui fait fabriquer ses produits par d’autres entreprises risque d’être déchu de ses droits, il y a lieu de relever que cet argument est fondé sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, ni la situation de la requérante ni le raisonnement suivi par le Tribunal ne concernent le cas dans lequel le titulaire de la marque fait fabriquer ses produits par d’autres entreprises. Il ressort, sans ambiguïté, de l’arrêt attaqué que celui-ci porte spécifiquement sur une situation dans laquelle l’usage de la marque en cause permet, certes, aux consommateurs d’identifier une origine géographique et des qualités associées à celle-ci, mais ne parvient pas à indiquer que les produits proviennent d’une « entreprise unique », consistant en une personne ou en des personnes économiquement liées, à laquelle peut être attribuée la responsabilité de la qualité de ceux-ci.
47 Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, les première, deuxième et quatrième branches du premier moyen doivent être considérées comme étant non fondées.
48 Le Tribunal a, par ailleurs, constaté à bon droit, au point 54 de l’arrêt attaqué, que le point de savoir si l’auteur de l’usage de la marque en cause est une personne de droit public ou de droit privé, n’entre pas en ligne de compte pour déterminer si cet usage remplit ou non la fonction essentielle de cette marque. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt, la question de savoir si un usage de la marque est fait conformément à la fonction essentielle de celle-ci dépend de la possibilité pour les consommateurs d’identifier, grâce à cet usage, les produits comme provenant d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité, et non du statut juridique de l’auteur de l’usage.
49 Par conséquent, la troisième branche du premier moyen est également non fondée.
50 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le premier moyen du pourvoi ne saurait être accueilli.
Sur le second moyen
Argumentation des parties
51 Selon la requérante, le Tribunal a omis, au point 54 de l’arrêt attaqué, de tenir compte de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 207/2009. Elle estime que, conformément à cette disposition, le Tribunal aurait dû constater que l’usage de la marque en cause fait par les membres de l’association Gemeinschaft Steirisches Kürbiskernöl est imputable au titulaire de cette marque.
52 Selon Mme Schmid et l’EUIPO, le second moyen est non fondé.
Appréciation de la Cour
53 L’article 15, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 énonce la règle selon laquelle l’usage de la marque de l’Union européenne avec le consentement du titulaire est considéré comme fait par le titulaire.
54 Contrairement à ce qu’affirme la requérante, le Tribunal n’a pas méconnu cette règle. Il a, au contraire, rappelé, au point 54 de l’arrêt attaqué, que « l’usage sérieux peut être effectué tant de la part du titulaire de la marque que d’un tiers autorisé à utiliser la marque ».
55 Sans déroger d’une quelconque manière à ladite règle, le Tribunal a constaté qu’aucun des usages de la marque en cause invoqués et démontrés devant lui ne permettaient aux consommateurs d’identifier les produits comme provenant d’une entreprise unique à laquelle pouvait être attribuée la responsabilité de leur qualité.
56 Il s’ensuit que le second moyen est également non fondé.
57 Aucun des moyens du pourvoi n’étant fondé, ce dernier doit être rejeté.
Sur les dépens
58 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de Mme Schmid et de l’EUIPO.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) La Landeskammer für Land- und Forstwirtschaft in Steiermark (chambre régionale d’agriculture et de sylviculture de Styrie, Autriche) est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et ceux exposés par Mme Gabriele Schmid.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.