ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
1er décembre 2016 (*)
« Pourvoi – Règlement (CE) n° 207/2009 – Marque de l’Union européenne – Marque tridimensionnelle représentant la forme d’un four – Article 51, paragraphe 1, sous a) – Demande en déchéance d’une marque de l’Union européenne – Article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a) – Usage sérieux de la marque – Rejet de la demande en nullité »
Dans l’affaire C-642/15 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 décembre 2015,
Toni Klement, demeurant à Dippoldiswalde (Allemagne), représenté par Me J. Weiser, Rechtsanwalt,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. A. Schifko, en qualité d’agent,
partie défenderesse en première instance,
Bullerjan GmbH, établie à Isernhagen-Kirchhorst (Allemagne),
partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), président de chambre, MM. M. Vilaras, J. Malenovský, M. Safjan et D. Šváby, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, M. Toni Klement demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 septembre 2015, Klement/OHMI – Bullerjan (Forme d’un four) (T-211/14, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2015:688), par lequel celui-ci a rejeté son recours contre la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 9 janvier 2014 (affaire R 927/2013-1), relative à une procédure de déchéance entre M. Klement et Bullerjan GmbH (ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
Le règlement (CE) n° 207/2009
2 L’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), dispose :
« Sont refusés à l’enregistrement :
[...]
b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif ;
[...] »
3 L’article 15 de ce règlement prévoit :
« 1. Si, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque de l’Union européenne est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage.
Sont également considérés comme usage au sens du premier alinéa :
a) l’usage de la marque de l’Union européenne sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée ;
[...]
2. L’usage de la marque de l’Union européenne avec le consentement du titulaire est considéré comme fait par le titulaire. »
4 L’article 51, paragraphe 1, dudit règlement dispose :
« Le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :
a) si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée [...]
[...] »
Les antécédents du litige
5 Le 22 mars 2004, Bullerjan, qui se dénommait alors « Energetec Gesellschaft für Energietechnik mbH », a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne tridimensionnelle ayant la forme d’un four déterminé. Cette marque a été enregistrée, le 5 juillet 2005, pour les produits relevant de la classe 11 de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante : « Poêles (appareils de chauffage) ».
6 Le 23 février 2012, M. Klement a présenté une demande en déchéance de ladite marque pour non-usage, sur le fondement de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, au motif que cette même marque n’aurait pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans.
7 Par décision du 3 avril 2013, la division d’annulation de l’EUIPO a rejeté la demande en déchéance.
8 Par la décision litigieuse, la première chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours formé contre ladite décision du 3 avril 2013, au motif que la marque en cause avait fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union au cours de la période de référence.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 avril 2014, M. Klement a introduit un recours tendant, à titre principal, à la réformation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à l’annulation de celle-ci.
10 À l’appui de son recours, le requérant a soulevé un moyen unique, tiré de la violation de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, lu conjointement avec l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), de ce règlement, en ce que la chambre de recours aurait, à tort, constaté l’existence d’un usage sérieux de la marque en cause au cours de la période de référence.
11 À cet égard, le requérant a fait valoir que la marque en cause aurait été utilisée non pas seule, mais conjointement avec l’élément verbal distinctif « Bullerjan », apposé de façon bien visible sur les produits en cause. Or, d’une part, une marque tridimensionnelle constituée exclusivement par la forme d’un produit, sans aucun élément verbal additionnel, ne remplirait plus sa fonction essentielle d’indication de l’origine commerciale des produits en cause et ne pourrait, dès lors, faire l’objet d’un usage sérieux lorsqu’il lui est adjoint un tel élément verbal distinctif. D’autre part, l’ajout d’un tel élément verbal à une marque de ce type altérerait nécessairement le caractère distinctif de celle-ci dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée.
12 Estimant, à l’instar de la chambre de recours, que l’ajout de l’élément verbal « Bullerjan », apposé sur la face avant du produit dont la forme constitue la marque en cause, n’aurait pas altéré le caractère distinctif de celle-ci, dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, et que le consommateur moyen continuerait à percevoir la forme des poêles en cause comme une indication de leur origine commerciale, le Tribunal a constaté que la preuve de l’usage sérieux de la marque en cause avait été rapportée à suffisance de droit.
13 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce moyen et, partant, le recours dans son ensemble.
Les conclusions des parties au pourvoi
14 Par son pourvoi, M. Klement demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de condamner l’EUIPO aux dépens.
15 L’EUIPO demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner M. Klement aux dépens.
Sur le pourvoi
16 À l’appui de son pourvoi, M. Klement invoque trois moyens, tirés, respectivement. d’une dénaturation des éléments de preuve commise lors de l’appréciation du caractère distinctif de l’élément verbal « Bullerjan », d’une contradiction de motifs affectant la constatation du caractère distinctif élevé de la marque en cause et d’erreurs de droit entachant l’interprétation et l’application de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement n° 207/2009.
17 L’EUIPO excipe, à titre principal, de l’irrecevabilité du pourvoi, au motif que l’appréciation par le Tribunal des faits concernant l’examen de la question de savoir si, conformément à l’article 51, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, l’usage d’un signe altère ou non le caractère distinctif ne peut pas être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
Sur l’exception d’irrecevabilité
18 À cet égard, il convient de constater que, s’il est vrai que, conformément aux articles 256 TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit et que, dès lors, seul le Tribunal est compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2015, El Corte Inglés/OHMI, C-603/14 P, EU:C:2015:807, point 31), il n’en demeure pas moins que, ainsi qu’il ressort des points 25 et suivants du présent arrêt, à tout le moins le deuxième moyen et la première branche du troisième moyen soulèvent des questions de droit et sont, dès lors, recevables.
19 Par conséquent, il n’y a pas lieu de déclarer le pourvoi irrecevable en tant que tel.
Sur le deuxième moyen et la première branche du troisième moyen
Argumentation des parties
20 Par son deuxième moyen, le requérant fait valoir que les motifs figurant aux points 38 et 39 de l’arrêt attaqué sont contradictoires à deux égards. En premier lieu, le Tribunal y déclarerait, d’une part, que la marque contestée présente une forme inhabituelle, mais indiquerait, d’autre part, que d’autres fabricants commercialisent des fours de forme très semblable. En second lieu, le Tribunal constaterait que, d’une part, la marque contestée présente un caractère distinctif élevé, abstraction faite de son éventuelle fonctionnalité, et que, d’autre part, un tel caractère distinctif n’est pas remis en cause par la forme très semblable d’autres fours, puisque cette forte similitude pourrait être due au fait que les fabricants de ces fours recherchent un résultat technique particulier.
21 Par la première branche du troisième moyen, le requérant soutient que, en jugeant que la marque en cause présente, par sa forme inhabituelle, un caractère distinctif élevé pour les produits qu’elle désigne et que le fait que d’autres fabricants distribuent des fours revêtant une forme très semblable est dépourvu de pertinence, le Tribunal aurait commis une erreur de droit relative à l’interprétation et à l’application de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement n° 207/2009, dès lors que le degré du caractère distinctif de la marque contestée dépend justement du degré auquel celle-ci se distingue des formes usuelles du secteur.
22 L’EUIPO rétorque que le fait que plus d’un fabricant produise les poêles en cause ne signifie pas pour autant que la forme considérée soit nécessairement habituelle. Sur le marché, il existerait de très nombreux fabricants de poêles qui en distribuent sous d’autres formes. Ainsi, la forme en cause pourrait encore être inhabituelle, même si elle est produite par plus d’une entreprise. En outre, une fonctionnalité donnée ne saurait exclure un caractère distinctif élevé de la marque. En effet, l’éventuel design pourrait tout à fait être très marquant et frappant, et avoir un caractère distinctif élevé en raison de son caractère inhabituel. Dès lors, il n’existerait pas de contradiction de motifs.
23 Par ailleurs, selon l’EUIPO, il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que le Tribunal aurait commis une erreur de droit. Il s’agirait, en l’occurrence, d’une pure question de fait, qui ne relèverait pas du contrôle de la Cour. En tout état de cause, il serait tout à fait possible que la forme soit inhabituelle au point d’avoir un caractère distinctif élevé.
Appréciation de la Cour
24 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation de l’arrêt attaqué doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel (voir, notamment, arrêt du 26 mai 2016, Rose Vision/Commission, C-224/15 P, EU:C:2016:358, point 24 et jurisprudence citée).
25 La question de savoir si la motivation d’un arrêt du Tribunal est contradictoire ou insuffisante constitue une question de droit pouvant être, en tant que telle, invoquée dans le cadre d’un pourvoi (voir, notamment, arrêt du 26 mai 2016, Rose Vision/Commission, C-224/15 P, EU:C:2016:358, point 26 et jurisprudence citée).
26 Les points 38 à 41 de l’arrêt attaqué sont libellés comme suit :
« 38 En l’espèce, la marque en cause présente, de par sa forme inhabituelle, évoquant celle d’un moteur thermique d’avion davantage que celle d’un poêle, un caractère distinctif élevé pour les produits qu’elle désigne, et ce abstraction faite de son éventuelle fonctionnalité.
39 À cet égard, la circonstance, alléguée par le requérant, que des fours revêtant une forme très semblable à celle de la marque en cause soient distribués par d’autres fabricants sous les marques verbales Bruno et Budler, ne permet pas, à elle seule, de remettre en cause cette appréciation, ladite circonstance pouvant également s’expliquer par la recherche par ces fabricants d’un résultat technique particulier, tel qu’un transfert de chaleur par convection.
40 Par ailleurs, l’élément verbal additionnel “bullerjan”, lui-même enregistré en tant que marque, présente un caractère distinctif qui peut être qualifié de normal.
41 Dans ces circonstances, le Tribunal estime, à l’instar de la chambre de recours, que l’ajout de l’élément verbal “bullerjan”, apposé sur la face avant du produit dont la forme elle-même constitue la marque en cause, n’a pas altéré le caractère distinctif de celle-ci, dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée, de sorte que cet ajout peut être considéré comme ayant donné lieu à un usage, dans une variante acceptable, de celle-ci, conformément à l’article 15, paragraphe 1, [second alinéa,] sous a), du règlement n° 207/2009. »
27 À cet égard, il importe de relever que, à supposer même que, ainsi que le soutient l’EUIPO, la circonstance que des fours revêtant une forme très semblable à celle de la marque en cause sont distribués par d’autres fabricants ne permette pas, à elle seule, de considérer que cette marque n’a pas une forme inhabituelle, il ne ressort pas de l’arrêt attaqué la raison pour laquelle le public concerné perçoit une indication forte d’origine dans la forme de la marque en cause et ne voit qu’une fonctionnalité technique dans la forme très semblable desdits fours distribués par d’autres fabricants.
28 Au demeurant, il n’apparaît pas de façon claire pour quelle raison, alors que des fours de forme très semblable à la marque tridimensionnelle en cause sont commercialisés par d’autres fabricants, seule la forme prétendument inhabituelle de cette marque est prise en compte en vue de déterminer le degré de caractère distinctif, qualifié de très élevé, de cette dernière.
29 Or, dans le cadre de l’application de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement n° 207/2009, qui prévoit qu’est considéré comme un usage sérieux l’usage de la marque de l’Union européenne sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de cette marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée, la forme de l’usage de la marque en cause doit être appréciée au regard du caractère distinctif de celle-ci, afin de vérifier si ce caractère distinctif est altéré (voir, en ce sens, ordonnance du 7 septembre 2016, Lotte/EUIPO, C-586/15 P, non publiée, EU:C:2016:642, point 30). Aux fins de cette vérification, il convient de tenir compte, en particulier, du degré plus ou moins élevé du caractère distinctif de la marque en cause.
30 Il découle de ce qui précède que la motivation de l’arrêt attaqué ne fait pas apparaître de façon claire et compréhensible le raisonnement du Tribunal sur un point déterminant aux fins d’établir si les conditions d’application de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), dudit règlement étaient réunies.
31 Par suite, il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen et la première branche du troisième moyen.
32 Il s’ensuit que l’arrêt attaqué doit être annulé.
33 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue. En l’espèce, il convient de constater que le litige n’est pas en état d’être jugé.
34 Il y a lieu, dès lors, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 septembre 2015, Klement/OHMI – Bullerjan (Forme d’un four) (T-211/14, non publié, EU:T:2015:688), est annulé.
2) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.
3) Les dépens sont réservés.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.