ORDONNANCE DE LA COUR (chambre d’admission des pourvois)
28 mars 2022 (*)
« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Admission des pourvois – Article 170 ter du règlement de procédure de la Cour – Demande ne démontrant pas l’importance d’une question pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union – Non-admission du pourvoi »
Dans l’affaire C-781/21 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 16 décembre 2021,
Daw SE, établie à Ober-Ramstadt (Allemagne), représentée par Me A. Haberl, Rechtsanwalt,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO),
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (chambre d’admission des pourvois),
composée de M. L. Bay Larsen, vice-président de la Cour, MM. I. Jarukaitis et M. Ilešič (rapporteur), juges,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la proposition du juge rapporteur et l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, Daw SE demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 octobre 2021, Daw/EUIPO (Muresko) (T-32/21, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:643), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 25 novembre 2020 (affaire R 1686/2020-4), concernant une revendication de l’ancienneté de marques nationales antérieures identiques pour la marque de l’Union européenne verbale Muresko no 15465719.
Sur la demande d’admission du pourvoi
2 En vertu de l’article 58 bis, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, l’examen des pourvois formés contre les décisions du Tribunal portant sur une décision d’une chambre de recours indépendante de l’EUIPO est subordonné à leur admission préalable par la Cour.
3 Conformément à l’article 58 bis, troisième alinéa, de ce statut, le pourvoi est admis, en tout ou en partie, selon les modalités précisées dans le règlement de procédure de la Cour, lorsqu’il soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.
4 Aux termes de l’article 170 bis, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, dans les situations visées à l’article 58 bis, premier alinéa, dudit statut, la partie requérante annexe à sa requête une demande d’admission du pourvoi dans laquelle elle expose la question importante que soulève le pourvoi pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union et qui contient tous les éléments nécessaires pour permettre à la Cour de statuer sur cette demande.
5 Conformément à l’article 170 ter, paragraphes 1 et 3, dudit règlement, la Cour statue sur la demande d’admission du pourvoi dans les meilleurs délais par voie d’ordonnance motivée.
6 À l’appui de sa demande d’admission du pourvoi, la requérante fait valoir que l’unique question juridique qu’elle soulève est importante pour l’uniformité de la jurisprudence ainsi que l’application et l’interprétation des articles 39 et 40 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1). Elle souligne que cette question n’a pas encore été tranchée par la Cour.
7 Elle reproche au Tribunal d’avoir interprété lesdites dispositions en ce sens que la marque nationale antérieure identique, dont l’ancienneté est revendiquée en faveur d’une marque de l’Union européenne, doit elle-même être enregistrée et en vigueur à la date à laquelle la revendication de l’ancienneté est introduite, même lorsque son ancienneté avait déjà été valablement revendiquée pour une autre marque de l’Union européenne.
8 En premier lieu, la requérante fait référence à la genèse de ces dispositions pour souligner que les marques d’usage sont exclues de leur champ d’application et que, par conséquent, le terme « enregistrée » prévu à l’article 39, paragraphe 3 et à l’article 40, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, précise simplement que les règles relatives à la revendication de l’ancienneté s’appliquent aux marques enregistrées et non aux marques d’usage. À cet égard, elle s’appuie sur la circonstance que, à l’époque de l’adoption de la première réglementation de l’Union relative aux marques de l’Union européenne, une partie des États membres protégeaient les marques d’usage tandis que l’activité du législateur de l’Union se bornait à régir les relations de celles-ci avec les marques acquises par l’enregistrement.
9 En deuxième lieu, eu égard à cette genèse, il s’ensuivrait que l’article 39, paragraphe 3, et l’article 40, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 ne constituent pas des dispositions dérogatoires dont toutes les conditions seraient d’interprétation stricte. À cet égard, elle indique que les arrêts du 19 janvier 2012, Shang/OHMI (justing) (T-103/11, EU:T:2012:19) et du 20 février 2013, Langguth Erben/OHMI (MEDINET) (T-378/11, EU:T:2013:83), mentionnant effectivement une « interprétation restrictive », portaient uniquement sur les conditions de l’identité du signe et de la marque qui doivent faire l’objet d’une telle interprétation et non sur l’exigence selon laquelle la marque nationale doit être toujours enregistrée.
10 En outre, se fondant sur l’arrêt du 19 avril 2018, Peek & Cloppenburg (C-148/17, EU:C:2018:271), la requérante fait valoir qu’une marque nationale antérieure, dont l’ancienneté a déjà été revendiquée pour une autre marque de l’Union européenne, produit des effets malgré sa radiation formelle et que son titulaire bénéficie des mêmes droits que ceux qu’il aurait eus si cette marque nationale antérieure avait continué à être enregistrée. Or, la requérante estime que ces droits comprennent également le droit de revendiquer l’ancienneté de cette marque nationale pour une nouvelle marque de l’Union européenne.
11 Par ailleurs, le système de revendication de l’ancienneté viserait, en réalité, à réduire le nombre de marques nationales enregistrées en permettant aux titulaires d’abandonner des enregistrements nationaux aux fins d’alléger leurs portefeuilles de marques. Or, cet objectif ne serait pas atteint puisque le nombre de marques nationales enregistrées continuerait de croître.
12 En troisième lieu, pour corroborer l’interprétation qu’elle propose, la requérante se réfère à une ordonnance du 20 septembre 2005 du Bundespatentgericht (Cour fédérale des brevets, Allemagne), selon laquelle la notion de « droits », dont le titulaire de la marque antérieure continuait de bénéficier en vertu de l’article 39, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 devait également comprendre le droit de poursuivre une procédure d’opposition nationale engagée sur la base de la marque nationale. Conformément à cette ordonnance, il serait contraire à l’objet et à la finalité du règlement 2017/1001 que la revendication de l’ancienneté d’une marque nationale, qui implique la renonciation à celle-ci, entraîne la perte des droits déjà acquis sur cette marque. La requérante considère que l’arrêt attaqué est en contradiction avec ce qui précède et que, afin d’appliquer les dispositions du règlement 2017/1001 de manière cohérente, il est nécessaire de trancher la question soulevée par son pourvoi.
13 En quatrième lieu, la requérante fait valoir que la question soulevée concerne, en outre, la relation des articles 39 et 40 du règlement 2017/1001 avec les dispositions de la section 3 du chapitre XI de ce règlement, relatives à la transformation d’une marque de l’Union européenne en demande de marque nationale. En effet, le titulaire d’une marque de l’Union européenne pourrait atteindre le même résultat que celui visé par la requérante en transformant cette marque en demande de marque nationale, qui bénéficie, en vertu de l’article 139, paragraphe 3, dudit règlement, dans l’État membre concerné, notamment, de l’ancienneté d’une marque de cet État revendiquée conformément à l’article 39 ou à l’article 40 du même règlement. Or, une telle situation, non voulue, d’ailleurs, par le législateur de l’Union, pourrait être évitée si les termes « mêmes droits », figurant à l’article 39, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, étaient interprétés comme englobant également le droit procédural de revendiquer l’ancienneté en faveur d’une nouvelle marque de l’Union européenne.
14 Par ailleurs, elle souligne qu’une telle interprétation est corroborée par le fait que l’article 39, paragraphe 4, de ce règlement ne prévoit plus la renonciation à la marque nationale comme motif d’extinction de l’ancienneté.
15 À titre liminaire, il convient de relever que c’est à la requérante qu’il incombe de démontrer que les questions soulevées par son pourvoi sont importantes pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union (ordonnance du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C-382/21 P, EU:C:2021:1050, point 20 et jurisprudence citée).
16 En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 58 bis, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 170 bis, paragraphe 1, et l’article 170 ter, paragraphe 4, du règlement de procédure, la demande d’admission du pourvoi doit contenir tous les éléments nécessaires pour permettre à la Cour de statuer sur l’admission du pourvoi et de déterminer, en cas d’admission partielle de ce dernier, les moyens ou les branches du pourvoi sur lesquels le mémoire en réponse doit porter. En effet, étant donné que le mécanisme d’admission préalable des pourvois visé à l’article 58 bis de ce statut vise à limiter le contrôle de la Cour aux questions revêtant une importance pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union, seuls les moyens soulevant de telles questions et établis par le requérant doivent être examinés par la Cour dans le cadre du pourvoi (ordonnance du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C-382/21 P, EU:C:2021:1050, point 21 et jurisprudence citée).
17 Ainsi, une demande d’admission du pourvoi doit, en tout état de cause, énoncer de façon claire et précise les moyens sur lesquels le pourvoi est fondé, identifier avec la même précision et la même clarté la question de droit soulevée par chaque moyen, préciser si cette question est importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union et exposer de manière spécifique les raisons pour lesquelles ladite question est importante au regard du critère invoqué. En ce qui concerne, en particulier, les moyens du pourvoi, la demande d’admission du pourvoi doit préciser la disposition du droit de l’Union ou la jurisprudence qui aurait été méconnue par l’arrêt ou l’ordonnance sous pourvoi, exposer de manière succincte en quoi consiste l’erreur de droit prétendument commise par le Tribunal et indiquer dans quelle mesure cette erreur a exercé une influence sur le résultat de l’arrêt ou l’ordonnance sous pourvoi. Lorsque l’erreur de droit invoquée résulte de la méconnaissance de la jurisprudence, la demande d’admission du pourvoi doit exposer, de façon succincte mais claire et précise, premièrement, où se situe la contradiction alléguée, en identifiant tant les points de l’arrêt ou de l’ordonnance sous pourvoi que le requérant met en cause que ceux de la décision de la Cour ou du Tribunal qui auraient été méconnus, et, deuxièmement, les raisons concrètes pour lesquelles une telle contradiction soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union (ordonnance du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C-382/21 P, EU:C:2021:1050, point 22 et jurisprudence citée).
18 Dès lors, une demande d’admission du pourvoi ne contenant pas les éléments énoncés au point précédent de la présente ordonnance ne saurait, d’emblée, être susceptible de démontrer que le pourvoi soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union justifiant son admission (ordonnance du 24 octobre 2019, Porsche/EUIPO, C-613/19 P, EU:C:2019:905, point 16 et jurisprudence citée).
19 En l’occurrence, s’agissant des arguments résumés aux points 7 à 11, 13 et 14 de la présente ordonnance, il convient de relever que, si la requérante identifie les erreurs de droit prétendument commises par le Tribunal, elle n’explique pas à suffisance de droit et, en tout état de cause, ne démontre pas en quoi de telles erreurs, à les supposer établies, soulèveraient des questions importantes pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union qui justifieraient l’admission du pourvoi.
20 En effet, conformément à la charge de la preuve qui pèse sur l’auteur d’une demande d’admission d’un pourvoi, la requérante au pourvoi doit démontrer que, indépendamment des questions de droit qu’elle invoque dans son pourvoi, ce dernier soulève une ou plusieurs questions importantes pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union, la portée de ce critère dépassant le cadre de l’arrêt sous pourvoi et, en définitive, celui de son pourvoi (voir, en ce sens, ordonnance du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C-382/21 P, EU:C:2021:1050, point 27 et jurisprudence citée).
21 Cette démonstration implique elle-même d’établir tant l’existence que l’importance de telles questions, au moyen d’éléments concrets et propres au cas d’espèce, et non pas simplement des arguments d’ordre général (ordonnance du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C-382/21 P, EU:C:2021:1050, point 28 et jurisprudence citée).
22 Or, la requérante se limite à affirmer que les articles 39 et 40 du règlement 2017/1001 ont été interprétés de manière erronée et à indiquer que l’ancienneté d’une marque nationale à laquelle il a été renoncé doit pouvoir être revendiquée au profit d’une marque de l’Union européenne en raison de la genèse et de la finalité de ce règlement, ainsi que des dispositions relatives à la transformation des marques nationales. Toutefois, elle n’expose pas les raisons précises pour lesquelles l’interprétation prétendument erronée des dispositions en cause soulèverait une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.
23 S’agissant de la prétendue contradiction entre l’arrêt attaqué et une décision d’une juridiction nationale, mentionnée au point 12 de la présente ordonnance, il convient de relever que, en tout état de cause, la requérante ne fournit pas d’indications suffisantes sur la similitude des situations visées dans ces deux décisions qui permettrait d’établir la réalité de la contradiction invoquée. La requérante ne donne pas non plus de raisons spécifiques pour lesquelles un tel conflit soulèverait une question importante concernant l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.
24 S’agissant de l’argument selon lequel la Cour ne s’est pas encore prononcée sur la question, il convient de rappeler que le fait qu’une question de droit n’a pas encore fait l’objet d’un examen par la Cour ne signifie pas pour autant que cette question revêt nécessairement une importance pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union, la requérante étant toujours tenue de démontrer une telle importance en fournissant des indications précises non seulement sur le caractère de nouveauté de cette question, mais également sur les raisons pour lesquelles ladite question est importante au regard desdits critères (voir, en ce sens, ordonnances du 24 octobre 2019, Porsche/EUIPO, C-613/19 P, EU:C:2019:905, point 19 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 décembre 2021, Chypre/EUIPO, C-538/21 P, non publiée, EU:C:2021:1053, point 22). Or, force est de constater que, en l’occurrence, une telle démonstration fait défaut.
25 Dans ces conditions, il convient de constater que la demande présentée par la requérante n’est pas de nature à établir que le pourvoi soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.
26 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de ne pas admettre le pourvoi.
Sur les dépens
27 Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance.
28 La présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi n’ait été signifié à l’autre partie à la procédure et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que la requérante supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (chambre d’admission des pourvois) ordonne :
1) Le pourvoi n’est pas admis.
2) Daw SE supporte ses propres dépens.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.